De plus en plus d’attentats-suicides sont perpétrés par des jeunes filles ou des fillettes, dans le nord du Nigeria. Ces attaques, pas toujours revendiquées, portent la signature de Boko Haram, qui inaugure une pratique sur le continent africain.
Le 22 février, une fillette de 7 ans tue sept personnes en se faisant exploser à Potiskum, dans le nord-est du Nigeria. Une semaine avant, une kamikaze utilise le même procédé à la gare routière de Damaturu, dans le nord toujours. Bilan : sept morts et 32 blessés. Le 10 janvier, une bombe explose sur un marché de Maiduguri, faisant 20 morts et 18 blessés. Ceinte sous les explosifs, une fillette de 10 ans.Cette liste morbide pourrait être allongée. Les femmes sont devenues la nouvelle arme de guerre de la secte islamiste Boko Haram. Quasiment chaque semaine, des femmes - souvent des adolescentes, parfois des fillettes - sèment la mort, au prix de leur propre sacrifice. La première attaque attribuée à une femme remonte au 8 juin 2014, dans l’État de Gombe. Depuis, les attentats sur ce mode opératoire se sont multipliés et la pratique semble s’instituer.
Les femmes pour déjouer la sécurité
"On s’attendait à une utilisation des femmes de manière occasionnelle, mais c’est devenu une véritable stratégie mise en place par la secte pour déjouer la sécurité", estime Emmanuel Igah, directeur de la société de conseil Phobos international et spécialiste du Nigeria. Les femmes attirent, a priori, moins la méfiance des militaires et autres agents de sécurité.
Le hijab, porté par la majorité des femmes dans les états du nord du Nigeria, où la charia est appliquée, permet de dissimuler plus facilement une bombe. En novembre dernier, deux femmes tuaient 45 personnes sur le marché de Maiduguri, capitale de l’État du Borno. L’une d’elles, 20 ans à peine, avait placé la bombe dans son dos, là où traditionnellement elles portent les enfants.
La vigilance s’est accrue avec la multiplication des attentats "féminins" ces derniers mois, poussant même certaines Nigérianes à abandonner leur tenue traditionnelle de peur d’être prises pour des terroristes. Mais l’imagination et les ressources sont sans limites. À Potiskum, le 22 février, la kamikaze avait été renvoyée à plusieurs reprises du centre de téléphonie où elle devait se faire exploser. Mais du haut de ses 7 ans, elle a fini par se glisser sous les cordages de sécurité, échappant à la vigilance des gardiens pourtant avisés.
Boko Haram inaugure une pratique en Afrique
Si la participation des femmes à des actions terroristes n’est pas un phénomène récent, leur utilisation comme bombes humaines reste un phénomène rare. Des femmes kamikazes ont été identifiées parmi les Tigres Tamouls au Sri Lanka, les séparatistes kurdes du PKK en Turquie ou dans le conflit tchéchène, où les "Veuves noires" attaquaient des intérêts russes dans le Caucase pour venger des membres décédés de leurs familles. Mais l’attentat-suicide reste le plus souvent le fait des hommes.
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"En Afrique, c’est une première", estime Fatima Lahnait, chercheuse au Institute for Statecraft et auteur du rapport "Femmes kamikazes ou le jihad au féminin". Des femmes avaient participé à la campagne menée par le FLN pendant la bataille d’Alger dans les années 1950, et d’autres avaient servi d’instruments de terreur en Ouganda, en Afrique du Sud et au Sierra Leone. "Mais il s’agissait de combattantes qui envisageaient le combat comme une stratégie d’émancipation, ce qui n’est pas le cas au Nigeria", ajoute la chercheuse.
Au Nigeria, les kamikazes n’ont laissé aucun message permettant de dire si leur action était motivée par une idéologie fondamentaliste. Les faits laissent cependant penser que la plupart ont agi sous la contrainte.
"Un toit contre un attentat"
Comment imaginer qu’une enfant de 7 ans n’a pas été forcée d'appuyer sur le détonateur, si on ne l’a pas fait à distance pour elle ? Parmi les bombes humaines, se trouvent de nombreux enfant des rues. "Dans le Nord du Nigeria, avec la pauvreté et la polygamie, il y a énormément d’enfants dont les familles ne peuvent pas s’occuper. Beaucoup sont recueillis par la secte qui leur demande, en échange d’un toit et d’un couvert, un retour en action", estime Emmanuel Igah.
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Sans parler de celles qui sont tout simplement enlevées par Boko Haram. Selon un rapport de HRW publié en octobre 2014, plus de 500 femmes et jeunes filles ont été ravies à leur famille depuis l’émergence de la secte islamiste en 2009. Une vague d’attentats-suicides perpétrés en juillet 2014 à Kano, la plus grande ville du nord du Nigeria, par des filles de 14 à 16 ans avait semé la psychose. La Toile s’était emballée, soupçonnant les jihadistes d’utiliser comme bombes humaines les lycéennes enlevées en avril 2014 à Chibok. Des rumeurs qui n'ont jamais pu être prouvées.
Des témoignages de rescapés attestent néanmoins de l'utilisation des otages sur les lignes de combat. Une jeune fille de 19 ans, retenue trois mois par Boko Haram en 2013, raconte à HRW avoir été forcée de participer à des attaques islamistes : "On m'a demandé de porter les munitions et de m'allonger dans l'herbe pendant qu'ils se battaient. Ils venaient s'approvisionner en munitions alors que les combats se poursuivaient". L’ex-otage raconte ensuite avoir reçu l’ordre d’égorger un membre d’une autre milice. "Je tremblais, horrifiée, et je n’ai pas pu le faire. La femme du chef du camp a alors pris le couteau et l’a tué", se souvient-elle.
Un impact psychologique beaucoup plus fort
Plutôt que de subir, certaines se rangent donc du côté des jihadistes. En juillet, un porte-parole de l’armée nigériane annonçait la création d’une branche féminine au sein de la secte islamiste. Ces femmes – qui seraient des centaines au moins, selon Emmanuel Igah – ont deux objectifs : l’espionnage et le recrutement d’épouses pour les combattants.
Les motivations derrière un attentat-suicide sont multiples. Endoctrinées, des femmes ou veuves de combattants se laissent convaincre au martyr pour "la cause de Dieu". Plus pragmatiques, des veuves de civils peuvent être poussées par le désir de vengeance, le déshonneur, la pression sociale ou tout simplement le besoin. "La secte est à la tête d’un capital qui lui permet de prendre en charge les communautés acquises à leur cause", explique Emmanuel Digah. Le premier kamikaze de Boko Haram, qui a attaqué le QG de la police à Abuja en 2011, aurait touché plus de 24 000 dollars pour mener à bien son opération.
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Les observateurs de cette pratique naissante craignent de la voir perdurer. "Tant que le conflit économique et territorial ne sera pas résolu dans le nord du Nigeria, il est à craindre que ce phénomène continue. D’autant que la main-d’œuvre est là", constate, à regret, Fatima Lahnait qui estime que Boko Haram développe une stratégie qui fait mouche : "La secte a besoin d’accomplir des actes à fort impact pour imposer la terreur. Et il y a une forme de contradiction à voir celles qui donnent la vie répandre la mort", explique la chercheuse. Elle rappelle que dans les sociétés musulmanes, les femmes sont encore considérées comme des mères à qui les hommes doivent non seulement la vie, mais le respect. "L’impact psychologique est donc beaucoup plus fort". L’impact médiatique également. Tweet
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