RIZICULTURE EMERGENTE: Problématique de la commercialisation du riz local

Le Sénégal est réputé être un grand pays de consommateurs de brisures de riz de sorte que plus de 90% de sa consommation sont produits par l’Asie. Une tare congénitale de notre souveraineté alimentaire que les nouvelles autorités veulent gommer à travers le Programme d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise (PRACAS). Mais ce programme a omis de décliner clairement le canevas de la commercialisation du riz local. Si produire est une chose, commercialiser en est une autre.

Les machines décortiqueuses de riz tournent à plein régime au moment où les producteurs rizicoles du delta du fleuve Sénégal agitent le drapeau rouge pour attirer l’attention des autorités gouvernementales : le riz local produit cette année entre la campagne de contre saison et celle hivernale ne trouvera pas preneur. Le marché local risque de tirer la production vers le bas si rien n’est fait pour inverser la tendance actuelle d’importation massive du riz asiatique au Sénégal. La commercialisation du riz local est aujourd’hui devenue un casse-tête chinois mais pour se tirer d’affaire, le Sénégal doit revisiter les différentes formes de régulation du marché rizicole. 

Les producteurs poussent des cheveux blancs pour le moment devant leur urgence à eux : le remboursement des crédits de la CNCAS. A la Société des Filières Alimentaires (SFA) de Ndioungue Mberess (Ross Béthio), l’usine tourne au ralenti. Le prix du riz bas imposé par le riz importé est passé par là. Kevin, l’exploitant, est anxieux. L’usine vient d’ouvrir il n’y pas encore un an. Un bijou technologique qui a couté 600 millions FCFA. Pourtant, elle est encore très en-deçà de sa capacité de production annelle. Kevin peut décortiquer jusqu’à 12 000 tonnes de paddy par an pour 8 000 tonnes de riz blanc. En attendant de vendre son millier de tonnes de riz blanc en souffrance dans ses magasins, la trentaine d’employés entre Dakar et Saint-Louis continuent de percevoir leur salaire sans que le rythme d’écoulement du riz produit ne soit concret. Ici, on achète directement le paddy au producteur à 125 FCFA le kg soit 125 000 FCFA la tonne. Au mois de juillet dernier,  la SFA a tiré l’épine du pied des plusieurs producteurs en achetant 2 000 tonnes de paddy. Ce que Ndiawar DIOP, le patron de l’organisation des producteurs, magnifie. Pourtant, le patron de la SFA est inquiété par la configuration du marché local : « Nous avons investi dans du matériel de dernière génération avec une mémoire visuelle de la machine et nous ne pouvons pas vendre notre riz blanc par rapport au prix des autres producteurs locaux. Nous sommes obligés de vendre à Dakar et non à Saint-Louis parce que les commerçants que nous avons prospectés ne veulent pas de notre produit. Nous ne pouvons vendre le sac à moins de 14 000 FCFA compte tenu des charges et de l’investissement ». Malgré tout, il a déjà intégralement remboursé les crédits contractés auprès de sa banque. C’est presque la même situation à l’usine de Bassirou FALL de Ross Béthio.

Bass FALL que nous avons trouvé entrain de coacher ses employés à le cœur à l’ouvrage. Très dégourdi, il n’hésite pas à mettre la main à la patte pour aider. Cette usine est la propriété du GIE TAIF qui a accepté d’y investir 200 millions FCFA. Elle fait tourner un personnel de 200 saisonniers. Cette année, la CNCAS a financé leur campagne à hauteur de 114 millions FCFA. Ici comme à la SFA, le problème se résume à une difficulté d’écouler le riz, nous dit Bass FALL, le Responsable : « Nous, nous travaillons sur toute la chaine de production : depuis les champs jusqu’à la commercialisation. Le seul segment qui risque d’annihiler tous nos efforts est le dernier maillon. Nous avons de sérieux problèmes pour trouver des débouchées. La CNCAS nous a beaucoup aidés mais ce n’est pas suffisant si tant est que nous sommes incapables de lui restituer ses crédits. Dans nos magasins, comme vous le voyez, ils sont 375 tonnes de paddy et 12 sacs de 85kgs de riz blancs qui ne trouvent pas preneurs ». La situation est alarmante pour ses agriculteurs et industriels qui s’engagent pour relever le défi de l’autosuffisance en riz. Mais, pour l’usine Téranga Entreprise de Boundoum du delta du fleuve, c’est la commercialisation des brisures de riz qui empêche de dormir. Le chef d’usine affirme qu’il n’a pas de problème pour écouler son riz entier quelle qu’en soit la quantité.

 Ici, pas moins de 260 tonnes de riz brisé sont en souffrance dans les magasins sans compter les 800 tonnes de paddy qui attendent de passer dans les machines.  Les 19 travailleurs que nous avons trouvés dans l’enceinte de l’usine sont actifs et semblent transits par une course contre la montre. La CNCAS alimente l’usine en matières premières : du paddy et lui permet de tourner. Mais pour se tirer d’affaire, l’usine fais des prestations de décorticage. Sa capacité est de produire 5 tonne à l’heure.  Téranga Entreprise a la spécificité d’être la seule unité de production détenue par une femme.

Par contre à Diawar, dans la même zone, une autre spécificité est notée Là-bas. Ce sont des producteurs de riz qui ont mutualisé leurs financements pour mettre sur pied cette unité de production de 3,5 millions FCFA. Ils ont embauché une vingtaine de travailleurs pour faire fonctionner les machines. Leur entreprise fait partie des débiteurs de la CNCAS pour défaut de débouchées. Dans les magasins moisissent 400 tonnes de riz blanc et 854 tonnes de paddy. La situation est dramatique. Les stocks en souffrance vont encore doubler dans les prochains quinze jours avec le début des récoltes de la campagne hivernale.  Il est dès lors admis que la riziculture a présentement des problèmes dans sa phase tertiaire. Pourtant, cette importation massive du riz asiatique a baissé même si les dégâts sont là.

Et si Ebola devait alerter…

 Certains navires de riz refusent de rallier les cotes ouest africaines relativement à cause du virus Ebola. Selon Oumar Samba NDIAYE, spécialiste des relations commerciales, les importations ont baissé : « Les importations du mois d’octobre ont été ramenées à 95 000 tonnes contre une moyenne de 170 000 tonnes au cours des trois précédents mois, avec un pic de 193 000 tonnes en septembre ». A cette interpellation dont il est difficile de quantifier l’ampleur dans le temps et l’espace : « Le taux de croissance de la production mondiale de riz est en effritement. De 3,4% durant la décennie 1960-1970, il est passé à 1,2% durant la décennie 2000 2010 voire moins depuis lors. Les réserves mondiales sont ramenées à leur plus bas niveau depuis une décennie entre 2003 et 2014 ». Une autre alerte est à signaler avec l’accroissement des besoins mondiaux en riz : « Ce qui est une conséquence de la forte demande en provenance de l’Extrême Orient du fait de l’essor de sa démographie. Une demande soutenue des pays dits émergents n’est pas aussi pour arranger les choses ». Mais les signaux rouges sont aggravés par la baisse des cours mondiaux : « S’ajoutent des cours mondiaux à tendance baissière de manière très drastique. Ce qui est préjudiciable pour la compétitivité du riz local dès lors qu’il est admis que le prix directeur du marché est celui du riz brisé importé sur lequel celui du riz local a tendance à s’aligner. Pour exemple, les cours du riz thaïlandais, en 2014 par rapport en 2013, ont fait l’objet de décotes de l’ordre de 19 à 37 dollars US par tonne. Cette même tendance est valable, bien qu’à un degré moindre, sur le riz indien ». Voici plusieurs raisons qui doivent amener le Sénégal à maintenir le cap de l’autosuffisance en riz. Pourtant, si la commercialisation des productions doit obéir aux lois du commerce mondial au risque d’exposer notre souveraineté alimentaire,

Du résidu de riz local mis en sac et vendu au marché

les leçons tirées des expériences vécues par le passé doivent militer en faveur d’un changement de mode opératoire de régulation du riz local dans le marché local ou international. Selon Babacar GUEYE, Coordonnateur du projet d’appui à la filière riz pour la sécurité alimentaire au Sénégal « Bey Dunde », deux slogans peuvent résumer la problématique à laquelle le riz est confronté : « l’avenir, c’est maintenant » et « choisir, c’est renoncer". Il faut informer les autorités  et l’opinion publique sur les progrès réalisés, les contraintes identifiées et les solutions possibles à court et moyen terme eu égard à la problématique de la commercialisation du riz

local ». Selon Babacar GUEYE, le riz local souffre de moins en moinsde l’image de produit de mauvaise qualité qui a prévalu naguère : « Pourtant, il est noté une recrudescence des importations de riz d’origine asiatique et principalement indienne. En 2013, les importations ont été de 1 100 000 tonnes. En2014, de janvier à avril, de 348 164 tonnes. Avec une moyenne de87 000 tonnes, les importations en 2014 dépasseront le million de tonnes si la tendance se maintient alors que la production locale attendue en2014-2015 est estimée à 570 000 tonnes. Les besoins de consommation sont estimées eux à 800 000 tonnes ». Pour lui, cette situation plombe la dynamique de pénétration du riz local dans le marché domestique. Les efforts faits jusqu’ici risquent d’être annihilés, maintenant ainsi la dépendance et la vulnérabilité du pays vis-à-vis des importations pour satisfaire les besoins en consommation en riz.

Aujourd’hui, du riz paddy de la contre saison chaude est encore dans les magasins des producteurs et riziers. Ils éprouvent des difficultés pour écouler le riz blanc sur le marché local. Principal fournisseur de financement, la CNCAS tarde à récupérer les prêts consentis malgré les stocks consignés à cet effet. Il faut d’urgence trouver un système de régulation qui permette au secteur de sortir de ce goulot d’étranglement.

                                                  Régulation...

La commercialisation des produits agricoles a toujours été et demeure encore au centre des préoccupations des agriculteurs sénégalais. Parmi les contraintes majeures qui ont sensiblement limité l’essor de l’agriculture sénégalaise figure, entre autres, le flux d’importations massives en provenance de pays qui ont atteint une échelle d’agriculture leur permettant de se prévaloir de couts de production nettement plus favorables que les nôtres. Si très souvent l’argument portant sur des performances agronomiques est avancé, d’autres mécanismes subtils entrent en jeu. Au Sénégal, différentes formes de régulation ont déjà prévalu avec le contingentement sur le poulet importé, la restriction quantitative ou rationalisation des importations de l’oignon et la délivrance d’autorisation d’importation au prorota du niveau d’implication en termes d’achat sur la production locale de tomate.

Samba Oumar NDIAYE, expert en relations commerciales, s’inscrit dans la dynamique de changement de mode opératoire pour la régulation du marché du riz au Sénégal. Elle devrait désormais sur l’anticipation et la prospective : « Concrètement, il s’agira de veiller à ce que le stock report de fin  2014 ne dépasse pas 100 000 tonnes et que les importations de 2015 soient calées à 300 000 tonnes. Il demeure entendu que le niveau d’importation sera réajusté au cas où les projections sur la production ne se réalisent pas comme prévu ». L’expert a comme postulat de base : besoins en consommation actuels de 800 000 tonnes, augmentation de 100 000 tonnes indexée sur la croissance démographique et les impondérables chiffrés à 12,5%, stock de régulation de 100 000 tonnes. Ce qui fait un total d’un million de tonnes. L’offre de riz local en 2015 pour 600 000 tonnes et l’apport additionnel requis en riz importé de 400 000 tonnes complètent les paramètres de projections.

Toutefois, l’expert fait cas d’un autre système de régulation auquel l’Etat pourrait recourir : « il s’agit de la régulation par l’élasticité de la demande. Sa mise en œuvre repose sur le fait de laisser libre cours aux importations mais en prévoyant une surtaxe interne, différente de la taxe à l’importation. La surtaxe s’appliquera au produit importé présent sur le marché intérieur durant la période de commercialisation de la production locale du produit concerné ».

C’est dire donc que l’avenir escompté à travers la décision prise par les pouvoirs publics, c’est maintenant qu’il faut créer les conditions de sa réussite.         RalphMATHIOLY

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