Cependant, force est de souligner
qu’elle est d’application complexe avec un panorama à fixer, des labyrinthes à
explorer. Voilà ce qui nous pousse à l’assimiler à un monstre adorable.
Adorable en ce qu’elle vient en aide à une catégorie défavorisée de la
population, à revenus faibles, irréguliers, voire sans revenus dans bien
des cas. Dès lors, elle aide à corriger les disparités et à instaurer la
solidarité. La CMU, comme son nom l’indique, ne concerne que la maladie. Elle
n’est donc qu’un volet de la protection sociale. Les autres risques comme le
décès et la retraite ne sont pas concernés mais, quoique de dimension plus
réduite, la CMU reste tout de même un monstre à plusieurs têtes eu égard à la
pluralité et à la diversité des catégories socioprofessionnelles à prendre en
compte, à la complexité du mécanisme, allant de l’identification/éligibilité
aux prestations en passant par l’adhésion, la souscription, le financement, le
recouvrement, le système d’information et la contractualisation entre les
différents partenaires : assurés bénéficiaires, prestataires comme pharmaciens,
postes de santé, centres de santé et hôpitaux publics. Même colossale, elle
reste du domaine de l’humain et la dimension de l’œuvre ne devant pas faire
obstacle à sa réalisation, une prise de conscience de sa juste mesure permet d’entrevoir
l’angle d’attaque, la mise en œuvre et le dénouement.
L’accès
à la protection sociale, un droit de l’être humain.
Reconnu aussi bien au plan international que par notre Charte fondamentale, il ne
doit pas être un vain mot. En effet, comme source de droit, l’on peut invoquer la Déclaration
Universelle des droits de l’Homme de 1948, notamment en ses
articles 22 et 25 qui consacrent le principe de la Sécurité Sociale.
Selon
l’article 22, toute personne, en tant
que membre de la société, a droit à
la sécurité sociale… grâce à l’effort national et à la coopération
internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.
L’article 25 dispose que «toute personne a droit à un niveau de vie suffisant
pour assurer sa santé, son bien-être mais aussi ceux de sa famille, notamment
pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que
pour les services sociaux nécessaires. Elle a droit à la sécurité en cas de
chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres
cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances
indépendantes de sa volonté. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et
à une assistance spéciale. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage
ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale ». Comme on l’a
constaté, chacun a droit donc à une certaine sécurité pour faire face aux
risques de chômage, de maladie, d’invalidité et de décès. Avec la protection
sociale qui a un caractère universel dans un pays comme la France, toute la
population est concernée ainsi que tous les volets: les biens portants cotisent
pour les malades, les célibataires pour les mariés, les actifs pour les
retraités La plupart de ces dispositions sont reconnues par la Constitution
sénégalaise, notamment l’article 8 qui fait garantir, par la République du
Sénégal, les droits économiques et sociaux dont le droit à la santé mais le
régime obligatoire de sécurité sociale, qui ne concerne que les travailleurs
salariés, englobe tous les autres risques à l’exclusion de la maladie et du
chômage. Aucune disposition de la loi n’est relative aux allocations ou à
l’assurance chômage contrairement aux contrats de prêt bancaire dont une clause
oblige l’emprunteur à souscrire une
assurance perte d’emploi auprès d’un assureur privé en sus de l’assurance décès
et invalidité définitive. Quant aux travailleurs indépendants, ils ne
bénéficient d’aucune couverture sauf à y souscrire volontairement et
individuellement (ou en groupe comme certains ordres). Dès lors, on constate
que c’est le Code du travail (loi de 1975) qui garantit le risque maladie à
travers les IPM là ou le Code de la sécurité sociale (loi de 1973) est muet.
Une fenêtre est ouverte par la Caisse de Sécurité Sociale aux travailleurs
indépendants qui peuvent s’adhérer volontairement au risque Accidents du
travail.
Rôles
et responsabilité partagés. L’Etat garantit le droit aux soins
de santé mais il partage les rôles et les responsabilités avec les collectivités
locales, les divers employeurs, les organisations de la société civile et autres
associations, les prestataires, sans oublier les individus eux-mêmes.
Selon
un constat rappelé à l’issue d’un atelier de la Cellule d’Appui à la Couverture
Maladie Universelle (CACMU) tenu du 02 au 05 octobre 2012, « le système de
santé est fractionné: l’Etat pour les salariés de la Fonction Publique et les
subventions aux groupes vulnérables, la Caisse de Sécurité Sociale et l’Institution
de Prévoyance Retraite (IPRES), les assurances commerciales (privée), les mutuelles
de santé pour les populations qui n’ont pas de couverture maladie, les Institutions
de Prévoyance Maladie (IPM) pour les travailleurs du secteur privé et les
ménages à travers le paiement direct ». Concernant la structure de
l’assurance Maladie, dans sa rubrique dépenses, sur un total de 20, 443
milliards de francs CFA (compte non tenu de la CSS et de l’IPRES): 8,
414 milliards de F CFA sont attribués aux IPM, représentant 41 % des dépenses et 24% du nombre d’assurés, 5,
369 milliards de dépenses de santé par les assureurs privés, soit 26% des
dépenses et 8% du nombre d’assurés, 4, 796 milliards pour les salariés de la
Fonction Publique, soit 24% des dépenses et 40% du nombre d’assurés,1,325
milliards pour les mutuelles de santé soit 6%
des dépenses et 27% du nombre d’assurés,539 millions de paiements
directs des entreprises, correspondant à 3% des dépenses et 1% du nombre
d’assurés (adhérents et bénéficiaires). La Caisse de Sécurité sociale gère les
branches Prestations familiales, Maternité, Accidents du Travail, Maladies
professionnelles alors que l’IPRES gère la branche Retraite. De grandes
avancées sont enregistrées au Sénégal, en matière d’initiatives de gratuité,
concernant notamment l’accouchement par césarienne, la subvention de la prise
en charge du diabète et du cancer, la subvention de la dialyse, la prise en
charge de la tuberculose et du VIH, la gratuité des soins pour les enfants de
moins de cinq (05) ans, le Plan Sésame et le Programme Elargi de Vaccination,
le Programme National de Bourses de Sécurité Familiale (PNBF) qui concerne
250 000 familles à raison de 100 000 F CFA par famille et par an,
promotion et protection des droits des personnes handicapées avec la loi
d’orientation sociale de 2010 à travers la carte d’égalité des chances.
De
plus en plus les Etats africains s’orientent vers la gratuité des soins ou
ciblent une catégorie de malades ou un type de maladie. De manière concomitante,
comme c’est le cas au Sénégal, certains pays mettent en place un dispositif
d’assurance maladie. Celui-ci peut être géré par l’Etat et/ou par des privés. Il
reste entendu que la cible est la population à revenus modestes mais a-t-on
vraiment maîtrisé tous les enjeux et les modalités d’application y
afférents ? Nous n’en sommes plus à l’Etat providence mais l’Etat doit
afficher une réelle volonté politique de bonne répartition des richesses du
pays, avec comme outils une réglementation appropriée, un financement adéquat et
pérenne par lui-même ou d’autres bailleurs, des prestations ininterrompues et un
appui technique.
La
CMU, un volet de la Protection sociale. A défaut d’une
protection sociale de caractère universel comme c’est le cas en France par
exemple, comprenant la maladie, l’invalidité, la maternité, les allocations
familiales et de chômage, la vieillesse et le décès, nos faibles ressources
nous limitent à la CMU, ce qui est déjà un grand pas que le Sénégal s’apprête à
franchir. Faut-il rappeler que, selon le Document de Stratégie de Réduction de
la Pauvreté (DSRP), le taux de
couverture sociale de la population n’est que de 20% de la population active alors
que, selon les Objectifs du Millénaire pour le Développement, il devait
atteindre 50% à l’horizon 2015 ? Un nouvel objectif fixé face au constat
un peu désolant : faire passer la couverture maladie de 20% à 65,5 % en
2017 en s’appuyant sur les mutuelles de santé à base communautaire pour
atteindre le secteur informel et le monde rural. Que faire pour que les
déclarations soient suivies d’effet ? A-t-on évalué les différentes offres
de couverture pour en tirer des avantages comparatifs ? Quels sont les
atouts de chaque système, ses faiblesses ? Certes, l’important est de
commencer, quitte à augmenter la vitesse (cadence) de réalisation au fur et à
mesure de la mise en œuvre. Il s’agit aussi de mettre à contribution toutes les
opportunités du marché qui proposent une couverture, ce que permet une évaluation
de l’état des lieux : les IPM avec leurs faiblesses à corriger, les
mutuelles de santé avec le nouvel élan que veulent leur donner les pouvoirs
publics mais avec les limites dans le recouvrement et la capacité technique de
gestion. La troisième catégorie, à savoir les assureurs privés dont l’assurance
maladie est le métier, ont pendant longtemps géré le risque maladie, mais avec
une politique de souscription sélective et trop rigoureuse pour éviter les
pertes d’une catégorie déficitaire et les fraudes inhérentes à cette branche de
leur portefeuille qui a besoin d’équilibre. Pour s’adapter à la clientèle à
faibles revenus et participer à l’effort de développement, ils ont corrigé leur
démarche. Désormais, à travers la micro assurance santé plus compétitive que la
branche traditionnelle jugée plus chère avec cependant des prestations et un
plateau technique de meilleure qualité, les assureurs ont trouvé une parade
pour répondre à l’appel de l’Etat pour faire face au besoin de couverture de
nos populations vulnérables, le secteur informel et agricole. L’assurance
maladie traditionnelle reste réservée aux entreprises, autres groupes et
personnes physiques dont les moyens financiers leur permettent d’y accéder. A
travers leur logistique, leur présence dans toutes les régions du pays et leur
maîtrise des techniques de l’assurance maladie dont ils ont fait un métier, les
assureurs privés, en particulier ceux pratiquant la micro assurance santé à
travers le Pool Micro Assurance Santé du Sénégal (PMAS) qui regroupe six (06)
compagnies d’assurances, peuvent fournir un appui technique aux mutuelles de
santé selon des modalités à déterminer d’accord parties. Pour une plus grande
efficacité de sa politique, l’Etat qui, depuis l’indépendance peine à afficher
le plein de couverture sociale, devrait mettre à contribution toutes les niches
possibles mais en assumant les tâches de surveillance et de régulation pour
éviter des déconvenues aux assurés et bénéficiaires de prestations, en tenant
compte de la notion de soins privés sociaux. Dans un système libéral, la
sélection se fera naturellement et chacun jouera le rôle pour lequel il est
créé. Il faut du tout pour faire un monde.
La CMU, une révolution sociale
indispensable. La CMU est une belle trouvaille dans
un monde de globalisation, une politique sociale à encourager et soutenirLa CMU
est une aubaine pour le Sénégal mais reste un vœu à réaliser car, pour
devenir universelle, elle doit couvrir tous ceux qui en ont besoin et sur tout
le territoire. C’est du domaine du possible avec comme préliminaires ce qui a
été fait dans le cadre de la CACMU, du DECAM, la CAFSP et d’autres actions. Le
Ministère de la Santé et de l’Action Sociale ainsi que l’Agence pour la CMU (MSAS
ET ACMU) sont en train d’abattre un important travail de terrain avec des
visites de sensibilisation et d’installations de mutuelles de santé. La
jonction avec les autres offres de services aussi bien publiques que privées
permettra sûrement de boucler la boucle. Comment tendre vers l’universel et, en
même temps, exclure certains qui sont capables de répondre à la forte demande
de couverture? Il serait regrettable de confondre priorité et exclusivité.
Priorité aux mutuelles de santé mais aussi incitation des autres postulants à
prendre leur part de marché, ce qui relève de la responsabilité d’un Etat
libéral garant de la libre émulation entre ses différentes composantes
(Public/Privé et Privé/Privé). A y regarder de plus près, l’universalité de la
Couverture Maladie ne pourrait qu’être bénéfique à notre économie :
réduction du taux de morbidité/mortalité, d’absentéisme au lieu du travail et
d’études, création d’emplois. Aussi, pour l’extension de la protection sociale,
le passage par les mutuelles de santé offre-t-il un cadre idéal mais insuffisant
pour combler le vide au plan national. La place du secteur privé social dans la
distribution est indéniable mais l’assiette sera moins restrictive avec
l’accompagnement par les assureurs privés à travers la micro assurance santé et
l’assurance santé complémentaire classique, individuelle ou de groupe, pour
ceux qui ont la possibilité de bénéficier d’un plateau technique plus relevé et
d’une évacuation sanitaire en Europe en cas de nécessité.
Le
terme Assurance Santé, plus extensif qu’Assurance Maladie et de plus en plus
utilisé par les assureurs privés, semble approprié parce que comprenant, outre
la maladie, la maternité (accouchement) et les accidents corporels qui
entraînent une invalidité partielle ou totale, temporaire ou définitive. Le
système tissé autour de la micro finance offre également une possibilité
d’étendre la masse assurable en offrant un mode de distribution supplémentaire.
A la suite du défi de l’extension qui passe par la diversité des offres, se
pose un autre défi.
Le
défi du financement de la couverture maladie. En matière
sociale, nous ne pouvons pas nous contenter
de nous inspirer des exemples brésilien, rwandais et ghanéen. La France
et les pays scandinaves sont en avance mais le génie sénégalais mous autorise à
faire preuve d’imagination en partant de nos spécificités et réalités
socio-économiques. L’Etat, pour couvrir ses citoyens contre le risque maladie,
si élémentaire comme obligation, n’a pas besoin de l’autorisation de ceux-ci
tout comme il n’a pas besoin non plus de leur onction pour recouvrer des
impôts. A l’instar des assurances Responsabilité civile automobile et
importation de marchandises par voie maritime rendues obligatoires par une loi,
à l’image de la contrainte d’une souscription d’une assurance décès et
invalidité absolue et définitive à laquelle les banques soumettent les
demandeurs de prêts, l’Etat peut faire de ce volet de la protection sociale une
obligation. Pour faire entrer au Paradis certains de nos compatriotes de nature
dubitative, ne faudrait-il pas à les y pousser malgré eux? Ils comprendront
plus tard. En d’autres termes, il faut instituer, par une loi, l’obligation ou
quasi obligation d’assurance maladie en subventionnant en tout ou partie les
populations démunies (50% ou 100% de 7 000 F CFA, soit 3 500 ou 7 000
F CFA par an). C’est possible en diminuant le train de vie de l’Etat, en
surveillant les dépenses des établissements publics et autres sociétés
nationales, en ponctionnant un petit pourcentage (0,3%) ou un forfait des
avantages des hauts fonctionnaires, des représentants (élus) du peuple et des
salaires mensuels dépassant un certain seuil (1 500 F CFA en guise
d’effort de solidarité pour 500 000 F CFA de rémunération), en puisant dans
les fonds spéciaux, les fonds communs et en imposant les grosses fortunes, en
taxant les pollueurs et autres fabricants de produits nocifs à la santé. Quel travailleur
sénégalais ne voudrait pas contribuer à prendre en charge au moins un de ses
concitoyens démuni à raison de 7 000 F CFA par an ? La charge mensuelle ne
s’élève guère qu’à 500 F CFA, le prix d’un paquet de cigarettes ou d’une partie
de thé Un Fonds de solidarité ou de stabilité du système peut être créé pour
recevoir toutes formes de participation. La Sones, la Senelec et les sociétés
de téléphonie peuvent être mises à contribution pour la collecte des
cotisations.
Face
à une réforme de cette envergure, il faut l’implication de tous les acteurs du
système d’assurance maladie et les règles doivent être bien assimilées par chacun
des concernés. La gestion d’un tel système exige rigueur, vigilance face aux
tentatives de fraudes même si le ticket modérateur sert à moraliser le risque
en mettant une quote-part des dépenses à la charge de l’adhérent (20% à 30% généralement),
intransigeance et régularité dans le versement du financement (cotisations et
subventions par l’Etat), méticulosité dans le suivi du processus. Des
prestations non contributives sous forme d’allocations de solidarité ou
forfaitaires, comme le prévoit l’IPRES, doivent être envisagées de plus en plus
pour une meilleure redistribution des richesses du pays. Un fund rising (levée
de fonds) peut être organisé pour permettre une plus large participation d’ici
et d’ailleurs. Enfin, Il est indéniable pour tout observateur objectif, qu’il
existe non seulement une réelle volonté de l’Etat mais aussi une stratégie
nationale d’extension de la couverture du risque maladie à encourager par tout
citoyen soucieux du mieux-être de ses compatriotes. Permettre à chacun de se soigner
en cas de maladie ! La réussite d’un tel projet marquera la consécration
d’une étape de l’une des plus grandes révolutions/évolutions en matière sociale
et qui mérite l’attention de tous, voire un débat national. Pour faire moins
marketing et moins provocateur, mais plus évocateur, un autre titre de notre
contribution en tant que professionnel de l’assurance mutuelle était
possible : la CMU, une révolution sociale indispensable! Toutefois, en
matière d’avancées sociales, un vaste champ de bataille pour une guerre que
l’on souhaite sans fin, tout combat de gagné en appelle un autre. L’essentiel
est de commencer, toujours commencer et, un jour, laisser d’autres continuer la
mission. Ne sommes-nous pas tous des soldats du développement? Le développement
n’a-t-il pas comme préalable un peuple en bonne santé ?
Biram
Ndeck NDIAYE, auteur
Ancien Président de l’Association
Sénégalaise des Cadres d’Assurances (ASCA)
Ancien Secrétaire Général de
l’Association des Mutuelles Africaines d’Assurances-Maroc (AMAA)
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