Le weekend prochain, le plus vieux parti politique du Sénégal, la formation qui a mené notre pays à l’indépendance et l’a dirigé pendant 40 ans, tiendra son congrès. Ce sera, assurément, un moment majeur, un temps fort de la vie politique nationale.
Le PS, c’est le parti des présidents Senghor et Abdou Diouf, qui ont eu à diriger notre pays pendant 20 ans chacun, soit quarante ans pendant lesquels ils ont construit à la fois une Nation et un Etat et jeté les bases d’un développement économique sans doute pas aussi performant que celui de l’éternelle rivale qu’est la Côte d’Ivoire, mais enfin ils ont construit un pays en tout bien tout honneur.
Le système éducatif qu’ils ont mis en place a formé des milliers de cadres parmi les plus brillants du continent et ils ont su résister à la tentation du parti unique et du pouvoir dictatorial qui étaient alors la norme en Afrique. Au contraire, pendant des décennies, la démocratie sénégalaise a constitué une exception et notre pays a été un îlot de multipartisme et de liberté de la presse dans un océan de régimes militaires et de partis uniques.
Le Sénégal peut s’enorgueillir d’être le seul pays d’Afrique à ne jamais avoir connu de coup d’Etat militaire. Cette exception, cette voie d’un développement sage et tolérant où les diverses communautés religieuses, ethniques et confrériques ont toujours cohabité harmonieusement, nous la devons à ces deux grands hommes d’Etat mais aussi au parti qu’ils ont créé et qui, on l’a dit, a gouverné notre pays pendant quatre décennies.
Et c’est grâce à la solidité et la viabilité du système démocratique mis en place par le Parti Socialiste (PS qui a succédé à l’Union Progressiste sénégalaise – UPS) qu’une alternance exemplaire s’est produite en 2000, laquelle s’est traduite par l’arrivée au pouvoir du Parti démocratique sénégalais (PDS) de l’opposant Me Abdoulaye Wade. Ce dernier, après 26 ans d’opposition, parvenait enfin à la magistrature suprême tout en envoyant le Parti Socialiste… dans l’opposition. En 2012, notre pays a connu une deuxième alternance tout aussi exemplaire que la première.
C’est donc cette formation socialiste qui tiendra son congrès samedi et dimanche prochain. Un congrès qui devrait, incontestablement, marquer le grand retour de cette formation historique sur le devant de la scène nationale. Ce après avoir failli couler corps et biens après la tempête de mars 2000. Au lendemain de la perte du pouvoir, en effet, c’est par pans entiers que des militants et des responsables de premier plan du parti de Colobane avaient abandonné le navire en perdition pour rejoindre les prairies bleues du Parti démocratique sénégalais qui venait d’accéder au pouvoir.
C’était le phénomène de la transhumance de sinistre mémoire. Tandis que des directeurs généraux de sociétés nationales nommés par l’ancien régime étaient jetés en prison sans ménagement, que des audits orientés étaient commandités, des sommes d’argent folles et de multiples prébendes étaient débloquées ou proposées par les nouveaux maîtres du pouvoir pour appâter les anciens dignitaires socialistes.
Bien rares sont ceux qui avaient pu résister à cette entreprise de débauchage. D’aucuns n’attendaient d’ailleurs pas d’être appelés pour aller d’eux-mêmes à la soupe, c’est-à-dire proposer leurs services au président Abdoulaye Wade et à son directeur de cabinet, le ministre d’Etat Idrissa Seck, pour soi-disant les aider à construire le pays.
A cette époque où les rats quittaient le navire en détresse par milliers et où il était ballotté comme un fétu de paille au milieu d’une mer en furie, nul n’aurait osé parier un franc Cfa dévalué sur la survie du PS. Tout le monde l’avait donné pour mort tellement personne ne voyait comment il pourrait résister au rouleau compresseur du Parti démocratique sénégalais.
Lequel, encore une fois, laissait le choix aux responsables socialistes entre la carotte des sinécures et autres nominations aux présidences de conseils d’administration, aux postes ministériels, aux cooptations sur les listes de députés, de sénateurs et autres, et le bâton de l’emprisonnement.
En ces lendemains de défaite et en ces temps de gueule de bois, bien que beaucoup parmi eux se furent enrichis au pouvoir, nul parmi les rares rescapés n’acceptait de mettre la main à la poche pour payer les salaires des permanents de la Maison du Parti- finalement d’ailleurs la plupart d’entre eux firent l’objet de licenciements économiques-, encore moins payer les factures d’eau, d’électricité et de téléphone.
Bref, le Parti socialiste étaient considéré comme mort. Et s’il a pu survivre miraculeusement, il le doit avant tout à un homme, son alors Premier secrétaire, M. Ousmane Tanor Dieng. Lequel sut tenir solidement la barre du navire en perdition et manœuvrer au milieu des récifs et des grosses vagues qui le faisaient tanguer à babord puis à tribord, résister aux vents contraires et à la houle, jusqu’à le mener à bon port.
Oui, c’est grâce à ce capitaine courageux et expérimenté, qui jamais ne perdit son sang-froid lorsque les forces de la nature s’étaient déchaînées contre son navire, que le Parti Socialiste n’a pas été rayé de la carte politique nationale et qu’il vit encore, redevenant même conquérant.
En effet, non content de l’avoir sauvé, OTD l’a rendu attractif au point qu’il a attiré de nombreux jeunes cadres et universitaires mais aussi des étudiants et des élèves. Sans compter, bien sûr, des artisans, des opérateurs économiques, des syndicalistes… Bref, des forces vives. Quoi de plus normal, dans ces conditions, que les militants et responsables socialistes vouent un véritable culte à cet homme qui a sauvé leur parti de la perdition et l’a ramené partiellement au pouvoir ?
Oh certes, il ne joue qu’un rôle marginal au sein de la coalition au pouvoir puisqu’il ne compte que trois ministres au gouvernement (si l’on inclut le portefeuille de M. Aly Haïdar), oh certes il n’a qu’un seul membre au Conseil économique, social et environnemental (un poste finalement attribué à Cheikh Sarr, leader d’une formation alliée) mais enfin, il dispose quand même d’une vingtaine de députés à l’Assemblée nationale et a placé quelques-uns de ses cadres à la tête de sociétés nationales.
Ce qui n’est pas peu pour un parti qui a effectué une longue traversée du désert au cours de laquelle les portes de toutes les institutions de la République lui avaient été fermées ! Surtout, son secrétaire général joue un rôle de conseiller très écouté du nouveau président de la République. Bien sûr, l’idéal eut été que le PS revint au pouvoir tout seul comme un grand, ce qui ressemble à une lubie puisque, vu la configuration actuelle des forces politiques dans notre pays, aucun parti à lui seul ne peut plus conquérir le pouvoir.
Il faut nécessairement des coalitions pour y parvenir. A preuve, l’actuel président de la République avait récolté 25% des voix au premier tour et n’avait pu l’emporter face à son ancien mentor, Me Abdoulaye Wade, que grâce à une très large coalition. On pourra toujours dire : Pourquoi, justement, le PS n’a-t-il pas été capable de pointer en tête de l’opposition à l’issue du premier tour et pourquoi OTD s’est-il fait distancer par son rival Moustapha Niasse ? Parce que, d’abord, beaucoup de Sénégalais, les jeunes surtout, ont voté pour M. Macky Sall parce qu’il symbolisait la jeunesse mais aussi parce qu’ils avaient à cœur de venger l’injustice dont il avait été victime de la part des Wade.
Ensuite, M. Moustapha Niasse s’est quand même glorifié à plusieurs reprises d’avoir bénéficié du soutien d’une quarantaine de partis et de mouvements qui avaient voté pour lui afin qu’il soit le candidat de la coalition Benno Siggil Sénégal tandis qu’Ousmane Tanor Dieng, lui, n’avait bénéficié que des seul soutiens des partis de MM. Haïdar et Cheikh Sarr. Malgré tout, M. Niasse ne l’avait devancé que de deux petits points ! C’est vrai qu’OTD aurait pu mieux faire mais enfin, est-ce une raison pour le disqualifier de la direction du Parti Socialiste ?
Or, ces derniers mois, on a entendu et lu (y compris dans les colonnes de ce journal, hélas…) de curieuses théories et d’étonnants raisonnements le concernant. Au prétexte qu’il aurait échoué à deux élections présidentielles, des adversaires politiques et même des chroniqueurs soutiennent sans ciller qu’il doit démissionner pour laisser la place à d’autres ! Curieusement, cette sentence ne s’applique qu’à Ousmane Tanor Dieng et pas à d’autres qui sont exactement dans la même situation que lui. On a même prétendu qu’il a échoué, non pas deux fois, mais trois parce qu’il aurait eu à conduire la dernière campagne électorale du président Abdou Diouf !
Or, à cette aune, M. Idrissa Seck aussi devrait logiquement démissionner de la direction de son parti, Rewmi, puisqu’il a été non seulement battu aux élections présidentielles de 2007 et 2012 mais encore il avait été le directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade en 1988 ! De même, ce dernier n’avait pu accéder à la magistrature suprême qu’au bout de cinq essais, dont quatre infructueux. Nul ne s’était avisé pourtant de lui exiger de démissionner. Et M. Moustapha Nasse lui-même a perdu deux élections présidentielles même si, lui, n’a jamais été directeur de campagne d’un candidat.
En 2007, il n’avait obtenu que 5 % des suffrages, un score pitoyable alors que Tanor n’était jamais descendu aussi bas. Malgré tout, les contempteurs du patron des socialistes d’aujourd’hui n’ont jamais demandé à l’actuel président de l’Assemblée nationale de rendre le tablier. Il s’y ajoute qu’en Afrique, ils sont nombreux les leaders politiques qui alignent plus de trois défaites sans qu’on leur demande pour autant de jeter l’éponge. Qu’il suffise de citer le cas du Mauritanien Ahmed Ould Daddah qui a lui aussi perdu trois élections.
Mais bon voilà, Ousmane Tanor Dieng ne plait pas à beaucoup de monde, ce qui se conçoit aisément nul ne pouvant prétendre à l’unanimité, mais de là à élaborer des raisonnements fumeux qui ne s’appliquent qu’à lui, des attaques ad hominem, il y a quand même un pas qu’il faut veiller à ne pas franchir, surtout si l’on est un journaliste. Or des confrères ont allègrement tordu le cou aux faits pour justifier leur acharnement anti-OTD.
Ils ont par exemple prétendu qu’il avait soutenu dans les colonnes de l’hebdomadaire « Jeune Afrique » qu’en cas d’échec à la présidentielle de 2013, il ne serait plus jamais candidat à la direction du PS ! Or, dans cette fameuse interview, il parlait bien de candidature à la présidentielle, nullement du secrétariat général de son parti. Mais bon qui veut tuer son chien l’accuse de rage.
Militants et responsables socialistes l’ont si ben compris qu’ils l’ont plébiscité à la tête du PS pour un nouveau mandat. Après avoir déposé sa candidature contre lui en une sorte de baroud d’honneur, Mme AÏssata Tall Sall, la patronne de l’Union régionale Ps de Saint-Louis et mairesse sortante de Podor, mais aussi dernière ministre de la Communication du président Abdou Diouf, Aïssata Tall Sall, donc, a finalement retiré sa candidature à la demande de M. Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar et président du Comité de Pilotage du Congrès du PS.
La candidature de Me Aïssata Tall Sall, égérie du PS, très brillante avocate, militante courageuse ne manquait pas de panache, assurément. Seulement voilà, les forces étaient trop inégales et cette grande dame risquait de se faire écraser par le secrétaire général du PS. Pour arrêter les frais, limiter les dégâts, permettre à l’avocate de sauver la face et au PS de faire l’économie d’une bataille fratricide, le secrétaire à la vie politique du parti de Colobane a donc eu raison de s’investir pour convaincre Mme Sall de retirer sa candidature.
Là aussi des confrères ont hurlé à l’absence de démocratie après avoir dénoncé des « fraudes » durant les opérations de vote dans les coordinations ! De toute façon, quoi qu’ait pu faire M. Ousmane Tanor Dieng, il n’aurait pas pu échapper à leurs salves. Qu’y faire si sa figure ne leur revient pas ! De fait, c’est vrai, le secrétaire général du PS manque de charisme. Mais est-ce sa faute et, surtout, est-ce une raison pour l’accuser de tous les péchés d’Israël ?
Une chose est sûre et nous l’avons écrit dans ces colonnes en février dernier : aucun responsable ne peut battre l’ancien ministre d’Etat, ministre des Services et Affaires présidentiels au sein du PS tant sa popularité y est prégnante et tant, encore une fois, les militants l’aiment. C’est comme ça, et pas autrement. Cela dit, et comme nous l’écrivions encore, il a le devoir de soutenir la candidature de Khalifa Ababacar Sall, injustement combattu par le président de la République, à la mairie de Dakar.
Cela, il est en train de le faire. Ce qu’on ne comprend pas, en revanche, c’est qu’il n’ait pas défendu plus fermement Me AÏssata Tall Sall face à la coalition, pour ne pas dire la conjuration, à laquelle elle doit faire face à Podor où une alliance contre nature uniquement dirigée contre elle s’est formée entre l’APR, le parti du président de la République, et le PDS de l’ancien président Me Abdoulaye Wade !
Pour le reste, tout en continuant à diriger le Parti Socialiste, il serait souhaitable qu’en 2017, et conformément à son engagement pris dans les colonnes de « jeune Afrique », M. Ousmane Tanor Dieng soutienne la candidature d’un jeune loup de son parti à la présidentielle de 2017 — ou 2019 ? — ? Un jeune loup qui pourrait s’appeler Khalifa Ababacar Sall, Serigne Mbaye Thiam ou… Me Aïssata Tall Sall !
On en est loin et, entre temps, Tanor Dieng a toutes les chances de devenir le premier Africain à présider aux destinées de l’Internationale socialiste. Pour le moment, contentons-nous de souhaiter plein succès au parti socialiste pour son congrès du week-end prochain qui va consacrer la victoire annoncée de M. Ousmane Tanor Dieng à qui nous adressons déjà nos félicitations les plus chaleureuses…
PAR MAMADOU OUMAR NDIAYE
Ce papier a été écrit avant le congrès du Ps qui se tient ce weekend.