Le texte ici proposé se veut de portée générale et aurait pu s’intituler « Candidature et campagne électorale : interrogations et réponses ». C’est une contribution à un débat négligé mais qui fait la quintessence de la politique : le marketing politique. A côté du débat politique, voire politicien qui a toute son importance bien qu’appauvri, le public a droit à un autre, tout autre, qui est d’ordre technique. A notre humble avis, les débats dits politiques gagneraient à accorder davantage de place aux propositions portant sur des thèmes susceptibles de nous éloigner du sous-développement. C’est en cela que les cadres, de toute obédience, sont interpelés. Ils ont la délicate tâche d’animer le débat national au travers des contributions dans les media, des conférences, la conception de messages et d’argumentaires, notamment. Celui qui a le privilège d’acquérir un savoir doit se sentir investi d’une mission : celle d’en transmettre, ne serait-ce qu’une partie, à ses semblables. Si en plus d’un travail de réflexion, les cadres des partis politiques accomplissent un travail d’encadrement, d’animation et d’impulsion à la base, ils seront doublement utiles. Ils peuvent proposer un programme de recrutement, d’adhésion en ligne, de parrainage, de renouvellement de cartes, de fidélisation, de diffusion de vidéos, d’éducation à la politique. L’intérêt est d’agir plutôt que de réagir pour ne pas être victime de cette pensée de Talleyrand: « En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai ».
Cela dit, dans quel environnement politique nous
trouvons-nous en Afrique en général, au Sénégal en particulier ? A constater
la pléthore de candidats à chaque élection de portée nationale ou locale, on ne peut s’empêcher de rappeler à notre bon
souvenir l’adage selon lequel tout être humain devrait s’interdire de se
précipiter sans trop savoir où aller: « quand on ne sait pas vers quel
port on fait route, aucun vent n’est favorable ». Le marketing peut nous
aider à y voir plus clair. Ses techniques, d’abord utilisées pour les produits
de consommation, se sont introduites dans l’espace politique pour engendrer le
marketing politique. Une élection est une
compétition avec une ligne de départ et une ligne d’arrivée, jalonnée
d’obstacles entre les deux pour, enfin, désigner un vainqueur qui aura engrangé
le plus de points. Le candidat et la candidature à une élection de portée
politique sont à la campagne électorale ce que la locomotive est à au train. Dans
une locomotive s’installe une table de pilotage, un tableau de bord avec une
claire vision de la destination et la ferme volonté d’y parvenir, une parfaite
conscience et connaissance des contraintes sur lesquelles on s’interroge, mais
surtout avec des réponses que l’on apporte à ces interrogations. Trois
questions fondamentales s’imposent à tous les candidats: le temps, l’espace
et la cible (l’électorat). Il s’y ajoute
trois autres sur lesquelles chaque candidat a plus de liberté de pensée et
d’action, donc de manœuvres : la stratégie, les moyens et la mise en œuvre.
Toute l’organisation et les différentes missions et actions doivent s’y
conformer. N’est-ce pas BUFFON qui disait que le style c’est l’homme ?
Alors, à chacun son style mais un style peut s’améliorer à la lumière d’un bon
coaching basé sur une technicité avérée et de judicieux conseils, une bonne
équipe de campagne.
1°) Le temps
Il appartient à l’Etat de fixer la date de chaque élection.
Le parti politique et son candidat, surtout ceux qui ne sont pas au pouvoir, n’y
ont, sauf forte pression, aucune
emprise. Ils ne peuvent faire autrement que s’y soumettre et réagir en
s’organisant dans les limites de la durée impartie. Mais le parti au pouvoir
doit toujours avoir à l’esprit un second tour, penser au jeu des alliances et
éviter de fabriquer maintenant et inutilement des adversaires supplémentaires
qui affûteront leurs armes en vue de ce moment crucial. On ne traîne que là où
l’on a besoin de vous « Ku lamb yaa tey daagu fa ñu la nobee ». C’est
le jeu du prendre et du lâcher « Kenn du jël pépp, jël péppit» walla seddële
nag, jël bopp, jël geen, jël fàllare wa».
Ainsi tout ce qui est envisagé s’exécute dans ce temps si précieux avec le
risque d’être forclos si on n’y prend garde. Dans les pays de fort ancrage
démocratique, le calendrier électoral ne fait pratiquement jamais l’objet d’aucun
doute, d’aucune incertitude ou indécision. Si sous nos tropiques on n’a pas ce «privilège»,
les différentes actions de campagne électorale doivent faire l’objet d’un
chronométrage rigoureux, en étant réglées
comme une horloge suisse.
2°) L’espace
C’est le champ d’application. Il fixe les limites de chaque
intervention correspondant à chaque type d’élection majeure : les locales,
les législatives et la présidentielle allant de la Commune au Pays tout entier,
en passant par le Département. Compte tenue de l’étendue de l’espace, la durée
de la préparation sera plus ou moins longue. S’il s’agit d’une élection
présidentielle, parcourir tout le pays ou y atteindre sa cible d’une autre
manière avec les moyens que l’on se choisit (humains, matériels et financiers)
exige certes une préparation de plus longue durée ou, à défaut, une minutie
d’orfèvre, une précision de chirurgien.
3°) La cible ou l’électorat
On ne peut parler de marketing à caractère commercial ou
politique, sans parler de la cible visée. Pour le marketing politique et dans
un contexte d’élection présidentielle, la cible n’est rien d’autre que
l’électorat, plus précisément la population en âge de voter et détentrice d’une
carte d’électeur en cours de validité. Pour chaque type d’élection, l’électorat
est le même pour tous les candidats en compétition. Cependant, il convient de
l’analyser en distinguant les différents segments qui le composent et en tenant
compte, notamment, de la catégorie
socioprofessionnelle (CSP), de l’âge, du sexe, de la situation géographique
mais encore du rôle social dans un pays comme le Sénégal. Le message ou thème
choisi, tout au moins dans sa forme, voire dans son contenu suivant le centre
d’intérêt du récepteur, doit varier, voire différer d’un segment à un autre. Une
bonne analyse du segment de population concerné tiendra compte indubitablement
de ses besoins et attentes. S’agissant de comportement, d’attitude ou de
posture, le candidat doit s’exercer à parler en termes choisis et faire preuve
de séduction (charmant et pas charmeur), prêt à débattre et non point à se débattre,
à raisonner au lieu de résonner, à mettre à son compte l’effectif et l’affectif
réunis. Il doit certes compter sur ses militants et autres proches mais cela ne
le mènerait pas loin s’il ne se consacrait encore plus à l’électorat flottant,
indécis et qui attend un message qui lui donne espoir pour être convaincu ou
séduit.
En résumé, la meilleure façon de se préparer consiste d’abord
à procéder à une analyse des besoins pour répondre aux attentes du public
cible, à savoir l’électorat.
4°) La stratégie
La stratégie est différente de la tactique qui est moins
générale, donc plus ponctuelle et limitée. Elle diffère selon l’idéologie,
le projet de société, mais surtout selon
la position du candidat et de son parti : leader, challenger, suiveur ou
spécialiste qui aura à cœur soit de protéger sa part de l’électorat, soit de
l’étendre. N’oublions pas la place et le rôle des coalitions et autres
alliances, aucun parti ou candidat individuel n’étant sûr de gagner une
élection présidentielle au premier tour. Le candidat sortant en particulier
doit y penser plus que l’opposition. Si le premier nommé se bat sur deux
fronts, se défendant et proposant à la fois, le second est toujours un peu plus
à l’aise, attaquant et dénigrant le plus souvent dans nos pays à la démocratie
encore à arroser et entretenir.
Dans un tel panorama, pour réussir la prouesse de lever les
contraintes et atteindre l’objectif assigné, le candidat doit s’appuyer sur une
équipe qui aura défini la stratégie adéquate et sa mise en œuvre. La discipline,
la solidarité, la loyauté de groupe et le respect du candidat, quel qu’il soit,
s’imposent une fois que ce dernier aura été choisi démocratiquement par son
camp. Dans cet exercice combien délicat de conquête de l’électorat, les outils
du marketing politique deviennent incontournables : l’objectif visé, le
produit (le projet de société et le candidat qui le porte), la cible, la
stratégie pour l’atteindre, les moyens à mettre en œuvre (humains, matériels et
financiers) pour y parvenir.
5°) La mise en œuvre
La politique de communication joue un rôle déterminant dans
la quête de résultats, donc de succès. Mais elle doit être un outil dont se
sert le marketing dans sa mise en œuvre ou marketing-mix après une claire
conscience de l’esprit ou concept marketing. Encore faudrait-il savoir sur qui,
quoi, où et comment communiquer : le candidat, le message (programme ou
thématiques), le lieu (meetings ou débats), les différents supports et canaux (les
imprimés comme affiches et presse, audio
et vidéo dont compacts disques, radios et télévisions) y compris les plus
récents, fruits du progrès technologique. Le candidat ne doit pas être seul. Il
doit se sentir entouré, préparé comme un lutteur qui rentre dans
l’arène avec une équipe de veille qui résume l’actualité, l’informe et
prépare les réactions orales, écrites ou filmées, une autre équipe de
débatteurs qui, telle une artillerie, prépare et comble l’espace non occupé par
le candidat. Le profil du débatteur, certainement choisi pour sa bonne culture
générale et sa connaissance des thèmes à aborder, est d’une importance
capitale. C’est tout un art qui ne s’improvise pas. C’est une science à
acquérir et adapter selon l’environnement et les cas spécifiques. Voilà
pourquoi la communication, surtout celle politique, à ne pas réduire à une
spécialité de journalistes (la tendance au Sénégal), prend de plus en plus une
place importante au cœur des états majors politiques. Elle n’est pas non plus à
confondre avec propagande et information. Comme une bonne sauce, il faut
veiller à ce qu’elle ne soit ni fade, ni trop relevée, épicée (ni absence, ni
over dose de communication). C’est aussi une affaire de mesure, donc de dose et
d’opportunité. Comme un art utilitaire, il va au-delà de l’esthétique. Les
intentions bien comprises sont traduites en actions étalées dans le temps et
l’espace pour éviter que l’ambition ne soit juste qu’un vœu pieux. Penser
communication certes, mais surtout penser marketing en aval parce que la
communication, bien qu’essentielle, n’en demeure pas moins la «partie émergée
de l’iceberg». Entre les deux tours en 2012, votre serviteur a vécu une
enrichissante expérience pour avoir eu l’insigne honneur de faire partie de
l’équipe chargée de la communication et de
celle des débatteurs, qui l’ont choisi pour présenter et défendre le programme
culturel du futur Président de la République lors de débats organisés par des
chaines de télévision et de radio. Comme nous l’avons constaté, la relation
parti politique/électorat doit être gérée. A partir d’une bonne connaissance de
l’électorat, il conviendra d’adapter ses propositions aux besoins de celui-ci,
de l’influencer ensuite. C’est tout le sens du marketing politique qui a un
coût. En plus d’être un art, la politique de manière générale n’est-elle pas
devenue une discipline enseignée dans les universités sous l’appellation de
science politique, à côté des Instituts d’études politiques? Rien n’est figé, a
fortiori la politique. Les anciens sont à respecter et à féliciter pour avoir
accompli leur part d’histoire et avoir accepté de baliser le chemin et d’accompagner
les plus jeunes. Il suffit juste de comparer avec ce qui se passe dans d’autres pays pour
apprécier leurs actions sur la terre de nos ancêtres, le Sénégal. Un grand
merci à eux. La relève doit se préparer à écrire sa part de l’histoire, à faire
mieux en se formant davantage de manière académique mais aussi à l’ombre de
ceux qui se sont mis si généreusement à leur service, sans danser plus vite que
la musique. Le monde bouge et il faut avoir le tempo juste : ni
précipitation, ni hibernation. Il ne
sert à rien de courir, « il faut partir à point », disait l’autre.
Biram Ndeck NDIAYE, cadre socialiste,
Bennoo Bokk Yaakaar
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