La Première Guerre mondiale fut un tournant clef pour l’Afrique
subsaharienne, et particulièrement pour l’Afrique française à l’ouest et
l’Afrique britannique dans le reste de l’Afrique intertropicale et
australe. Ce fut un moment à la fois de grande ouverture et de grande
souffrance.
Pour la première fois, les Africains de qui jusqu’alors les Européens
n’exigeaient que soumission et travail, furent sommés de participer à
la mondialisation en cours par leur contribution physique et matérielle
au conflit mondial.
Engagement des Africains
Celui-ci fut très tôt engagé sur
le sol africain. En Afrique occidentale (AOF) comme en Afrique
équatoriale (AEF), les colonies des belligérants se côtoyaient. Dans les
premières années de la guerre, le Togo en AOF et le Cameroun en AEF,
deux colonies allemandes, passèrent sous contrôle français et
britannique, non sans dégâts du côté africain : en 1914 le chef Douala
(Cameroun) Douala Manga Bell fut pendu avec son secrétaire par les
Allemands qui l’accusèrent d’avoir voulu pactiser avec les Français. Les
Britanniques mirent aussi la main sur le Tanganyika allemand et, par le
biais de la république sud-africaine (indépendante depuis 1910 et
membre du Commonwealth), sur le Sud-ouest africain (aujourd’hui
Namibie). Sous la conduite des Français, des troupes africaines, les
« tirailleurs sénégalais », menèrent le combat. On envoya aussi des
Africains « originaires » des quatre communes du Sénégal de statut
municipal français (Gorée, Saint-Louis du Sénégal, Dakar et Rufisque)
pour remplacer les fonctionnaires français appelés au front. Les
recrutements allaient devenir systématiques à partir de 1916. C’est en
effet à cette date que le député du Sénégal au parlement français,
Blaise Diagne (ce fut, en 1914, la première fois qu’un Noir était élu
dans la colonie), négocia la reconnaissance de la citoyenneté française
pleine et entière pour les « Originaires » engagés sur les champs de
bataille métropolitains. Jusqu’alors, il avait été exclu d’armer les
soldats noirs autrement que pour aider à la conquête d’autres colonies.
Face à l’hécatombe des tranchées, allait triompher la proposition du
général Mangin, jusqu’alors repoussée, de lever une « force noire » pour
en compenser les pertes. Près de 200 000 « tirailleurs » allaient être
mobilisés en AOF (un peu plus au Maghreb, contre environ 10 000 en AEF
et 50 000 en Indochine), dont 135 000 furent envoyés en France où 30 000
furent tués.
Travail forcé au nom de l’effort de guerre
Sur place, le
prix fut d’autant plus cher à payer que, devant les pénuries françaises,
pratiquement tous les produits tropicaux d’exportation furent
considérés comme « stratégiques » ; la production « indigène »
d’oléagineux tropicaux (huile de palme et d’arachide, bois, gomme...)
mais aussi les vivres pour approvisionner les troupes (manioc) devinrent
pour les paysans des cultures obligatoires à développer au maximum pour
des prix fort bas fixés par l’administration. Cette politique provoqua
d’importantes carences. On eut recours au nom de l’effort de guerre au
travail forcé, pourtant interdit officiellement. Les soldats recrutés
fournis par les chefs locaux furent souvent des gens de peu (on estime
que les ¾ d’entre eux étaient d’origine servile). Les exigences
devinrent telles que le gouverneur général de l’AOF, Van Vollenhoven,
qui n’était pourtant pas un tendre, se rebella, arguant qu’on ne pouvait
à la fois dépeupler le pays de ses bras tout en exigeant une production
accrue. Devant l’obstination du ministère, il démissionna et s’engagea
en 1917 sur le front où il mourut en 1918.
Bien que les
« originaires » des quatre communes aient obtenu de faire leur service
militaire en qualité de Français, ces troupes subirent de plein fouet le
choc des grandes batailles où elles servirent parfois de chair à canon.
L’ensemble de l’AOF fut donc paupérisé et bouleversé par ces
événements.
Des prises de conscience
À terme, les effets politiques et
sociaux de la guerre allaient se révéler déterminants dans l’évolution
de l’AOF. Du côté français, la guerre fit comprendre les dangers de
l’exploitation aveugle menée jusqu’alors. Le ministre des Colonies,
Albert Sarraut, allait en tirer un ouvrage qui inspira toutes les
tentations de réformes de l’entre-deux-guerres : La mise en valeur des
colonies (Payot,1923). Du côté africain, les soldats engagés en France
découvrirent un aspect des colonisateurs jusqu’alors ignoré : les Blancs
n’étaient pas faits d’un seul bloc et se faisaient une guerre sans
merci. Les soldats noirs constatèrent que le racisme ambiant dans les
colonies n’avait pas cours de la même façon en métropole. Ce fut pour
eux une révélation car jusqu’alors la censure avait tenu les colonisés
dans l’ignorance. Il y eut aussi des rencontres avec les jeunes
Françaises, avec les familles, et surtout la découverte d’une presse qui
leur parut très libre.
Les anciens combattants furent récompensés
après-guerre par la dispense de l’indigénat qui limitait strictement les
droits des « sujets » (dispense supprimée par le gouvernement de Vichy
en AOF lors de la Seconde Guerre mondiale). Une fois rentrés au pays,
cela leur donna une liberté de parole interdite jusqu’alors. Leur
expérience retentit jusque dans les villages où la plupart revinrent
après-guerre. En outre, éventuellement couverts de gloire et de
décorations, beaucoup d’entre eux, partis anciens esclaves, revinrent en
relatifs privilégiés. L’armée les avait formés au « français
tirailleur », un français simplifié. L’administration coloniale eut
tendance à se reposer sur eux, et en nomma plus d’un chef de village, ce
qui provoqua une véritable révolution sociale interne. Un certain
nombre resta en France, où ils lancèrent les premiers mouvements
« modernes » de résistance à la colonisation : ainsi Lamine Senghor
(sans lien de parenté avec l’ancien président du même nom), ancien
tirailleur de la Première Guerre mondiale, adhéra au Parti communiste
français et devint l’un des piliers de la résistance anticoloniale
clandestine dans les milieux métropolitains noirs de
l’entre-deux-guerres. De même, Tiemoko Garan Kouyaté lança en 1931 un
journal clandestin, Le Cri des Nègres, et mourut exécuté par les nazis en 1942.
La Première Guerre mondiale ouvrit donc une ère nouvelle, aussi bien du côté français que du côté africain.
*Catherine Coquery-Vidrovitch, est historienne. Elle est professeur
émérite d’histoire africaine à l’université Paris-VII-Diderot.
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Météo Saint-Louis,Sénégal
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