Certains départs ne sont pas publiquement annoncés, mais les
remplaçants sont d’ores et déjà officiellement nommés. C’est le cas pour
Gilles Séraphin Bayala promu ambassadeur, directeur général du
protocole d’Etat ; il était jusqu’à présent l’adjoint de Léon Yougbaré.
Bayala, qui a le grade de colonel dans l’armée nationale, mais a fait
l’essentiel de sa carrière au sein du protocole d’Etat, a suivi en 2013
le Cours supérieur interarmées de défense (CSID) de Yaoundé. Ce même 27
novembre 2014, Damo Justin Baro a cédé sa place de conseiller spécial au
général de division Nabéré Honoré Traoré. Du même coup, Traoré est
remplacé comme chef d’état-major général des armées par son adjoint le
général de brigade Pingrenoma Zagré. La journée du 27 novembre 2014 aura
été marquée, également, par le départ de Sanné Mohamed Topan, directeur
de cabinet du Président du Faso ; mais on ne connaît pas encore le nom
de son successeur alors qu’il s’agit d’une fonction-clé à Kosyam.
La
nomination de Nabéré Honoré Traoré comme conseiller spécial est
l’expression d’une volonté de réconciliation de l’armée après que le
Régiment de sécurité présidentielle (RSP) se soit imposé au pouvoir à la
suite de la démission de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014 et que le
lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida se soit proclamé chef d’Etat avant
d’obtenir le poste de premier ministre.
Traoré, lui, aura voulu
aller trop vite trop loin, sans avoir pris soin d’occuper tout le
terrain. Le jeudi 30 octobre 2014, dans une déclaration faite à
l’état-major des armées, il avait « porté à la connaissance du peuple,
de l’opinion nationale et internationale » la dissolution de l’Assemblée
nationale et du gouvernement. Il avait annoncé qu’un « organe
transitoire sera mis en place en concertation avec toutes les forces
vives de la nation en vue de préparer les conditions pour le retour à
l’ordre constitutionnel normal dans un délai de douze mois au plus
tard ». Le couvre-feu avait été instauré sur tout le territoire national
de 19 h à 6 h et il invitait « l’ensemble des populations des villes et
campagnes du Burkina Faso […] à vaquer à leurs occupations dans le
calme et la sérénité ». Un discours qui résonnait dans les oreilles des
manifestants comme un coup d’Etat militaire.
Zida, quant à lui,
bien qu’inconnu de tous, sera plus habile ; il évoquera « une grave
crise socio-politique » dénouée par « une insurrection populaire » et
affirmera que c’est « à la demande pressante des Forces vives de la
nation » que l’armée a pris ses responsabilités (cf. LDD Burkina Faso
0441/Lundi 3 novembre 2014).
Voilà donc le général Nabéré Honoré
Traoré recasé à Kosyam au nom de la réconciliation de l’armée. Une
manière de faire qui a toujours été reprochée au régime précédent mais
qui s’avère indispensable. On dégage en touche du côté de la présidence
du Faso, ce qui libère des jobs opérationnels. Traoré, amateur de
football (il a été président de la fédération burkinabè), connaît
d’ailleurs la règle du jeu.
Né le 28 septembre 1957 à Diédougou,
Traoré est passé par les Prytanées militaires du Kadiogo (1969-1974) et
de Saint-Louis du Sénégal (1974-1977). A Saint-Louis, il obtiendra le
bac. Incorporé dans l’armée le 1er juillet 1977, il étudiera à la fac
des lettres de Ouaga (1977-1978) avant de rejoindre l’Académie royale de
Meknès puis l’Ecole d’infanterie mécanisée de Fort Benning (Etats-Unis)
en 1981-1982. Il sera alors nommé commandant du 2è bataillon
d’intervention rapide (BIR) au Centre national d’entraînement commando
(CNEC) de Pô (1982-1985). Il sera aide de camp de Compaoré (1988-1989)
avant de commander l’Académie militaire Georges Namoano (1989-1992). Il
va suivre les cours d’état-major à Compiègne et sera directeur central
des sports, des arts et de la culture des Forces armées nationales
(FAN), du 12 novembre 1992 au 29 juin 2004. Ce sera ensuite le Collège
interarmées de défense (CID), ex-Ecole de guerre de Paris (1er juillet
2004-30 juin 2005). Il est alors nommé directeur des ressources humaines
et de la fonction militaire de la Défense le 6 octobre 2005 et
commandant du groupement central des armées (GCA) le 7 juillet 2009.
A
la suite des « mutineries », le colonel Nabéré Honoré Traoré sera
nommé, le 15 avril 2011, chef d’état-major général des forces armées
(CEMGA) ; le lendemain, il sera élevé au rang de général de brigade (et
promu général de division le 30 décembre 2013). Il remplaçait à ce poste
le général de brigade Dominique Djindjéré, en fonction depuis le 23
juillet 2009. C’est le mardi 19 avril 2011, alors que le gouvernement de
Tertius Zongo a été dissout, que la passation de pouvoir a eu lieu sous
l’autorité d’Assimi Kouanda, directeur de cabinet du président du Faso.
Traoré dira alors : « Sans respect de la hiérarchie, sans autorité des
supérieurs et sans discipline, il n’y a pas d’armée ».
Sauf bien
sûr que les insurrections comme les révolutions sont opposées aux
hiérarchies, à l’autorité des supérieurs et à la discipline. Ainsi,
voici tout juste un mois, le 1er novembre 2014, le chef d’état-major
général adjoint des armées, le général de brigade Pingrenoma Zagré, a dû
lire une déclaration de son patron, Nabéré Honoré Traoré, reconnaissant
que c’est l’armée, à l’unanimité, qui a décidé de confier le job de
chef d’Etat au… lieutenant-colonel Zida, numéro deux du RSP. Repli
tactique de Traoré. Nommé désormais à Kosyam, c’est son adjoint, Zagré,
qui devient CEMGA.
Zagré avait été nommé chef d’état-major général
adjoint des armées le 6 septembre 2012 et avait été promu général de
brigade le 30 décembre 2013. Le voilà aujourd’hui, le grand patron des
Forces armées nationales (FAN). Grand patron sauf, bien sûr, que son
ministre de tutelle est le… lieutenant-colonel Zida, Premier ministre de
la transition !
Un lieutenant-colonel au poste de premier
ministre, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants ;
trois colonels au gouvernement, dont deux dans le carré d’as à des
postes stratégiques (Administration territoriale, Décentralisation et
Sécurité d’une part ; Mines et Energie d’autre part) ; un général de
division conseiller spécial du président du Faso ; trois
colonels-majors, un colonel et deux lieutenants-colonels siégeant au CNT
parmi les quinze représentants des forces de défense et de sécurité ;
un CNT présidé par le fils d’un général fondateur de l’armée voltaïque… A
première vue, il y a, au Burkina Faso, des uniformes partout. Ce qui
n’est pas une nouveauté dans ce pays où les régimes militaires ont été
plus nombreux que les régimes civils. Mais laisse penser que ce régime
pourrait être celui « des colonels ». D’autant que, dans le même temps,
les leaders des partis politiques sont absents des instances de la
transition (la « charte de la transition » établit que ceux qui sont là
actuellement ne pourront pas être candidats aux élections de 2015 !).
Et,
à défaut d’un « régime des colonels » n’est-ce pas un « clan » de
militaires qui entend assurer une « trop forte mainmise sur l’appareil
politique et sur le système économique » ? Je pose la question parce que
ces mots « clan », « mainmise », etc. sont ceux que Yacouba Isaac Zida a
employé pour définir les « maux » qui ont plombé le précédent régime.
C’était à Bobo-Dioulasso, le samedi 29 novembre 2014, premier
déplacement hors de Ouaga de « l’homme fort » du Burkina Faso. Qui, à
cette occasion, s’est voulu rassurant : « Ceux qui doutaient de la
sincérité de l’armée peuvent constater que le Président du Faso et le
Président du Conseil national de la transition sont tous deux des
civils. L’armée burkinabè est une armée républicaine et intègre ».
Ouf… !
Jean-Pierre BEJOTLa Dépêche Diplomatique
Météo Saint-Louis,Sénégal
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